Au bonheur des dames / Emile Zola

Immense coup de cœur pour un des chefs-d’œuvre de Zola: son très célèbre « Au bonheur des dames », classique mais incontournable.

Au Bonheur

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Années 1860. Denise Baudu, désormais orpheline, se rend à Paris avec ses deux frères dans l’espoir de trouver du travail chez son oncle qui possède un petit commerce. Malheureusement, le commerce de son oncle est peu prospère et souffre de la concurrence du Bonheur des Dames, un grand magasin détenu par Octave Mouret et qui détruit un à un les commerces du quartier. Dans le besoin, Denise va se faire embaucher au Bonheur et découvrir un univers impitoyable fait de travail acharné, de concurrence, d’injustice, de mesquinerie et de servilité.

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En disant que ce roman d’Emile Zola est une oeuvre majeure, une vraie merveille, je risque de ne pas être très originale. Mais, il est difficile de la qualifier autrement.

«Au Bonheur des Dames» est un portrait incroyablement juste et détaillé du Paris du Second Empire, particulièrement de la modification du tissu économique.Quand on parle de cette oeuvre de Zola, on se rend compte que beaucoup en retiennent son romantisme (l’histoire d’amour très chaste entre Octave Mouret et Denise Baudu) et son univers très féminin. Mais, en fait, «Au Bonheur des Dames» est un roman qui dépeint une réalité plutôt sombre. Effectivement, sous l’or et les paillettes de la réussite dévorante du grand magasin, on trouve l’exploitation de jeunes hommes et femmes, la misère annoncée des petits commerçants, en bref, les rouages du capitalisme moderne. De plus, la frénésie d’achats et de consommation que décrit Zola ne sont pas vues sous un angle positif. Bien sur, il décrit avec moult détails la richesse des soieries, la légèreté des éventails, la blancheur virginale des draps. Mais, il dépeint également l’emprise du magasin sur les femmes telle une sorte de lavage de cerveau ou, voire même, un viol. D’ailleurs, Mouret dit clairement qu’il souhaite utiliser les femmes et leurs besoins contre leur gré. Zola utilise également un langage propre à la sexualité dans ces descriptions.

Mouret avait l’unique passion de vaincre la femme. Il la voulait reine dans sa maison, il lui avait bâti ce temple, pour l’y tenir à sa merci. C’était toute sa tactique, la griser d’attentions galantes et trafiquer de ses désirs, exploiter sa fièvre.

Ces dames, saisies par le courant, ne pouvaient plus reculer. Comme les fleuves tirent à eux les eaux errantes d’une vallée, il semblait que le flot des clientes, coulant à plein vestibule, buvait les passants de la rue, aspirait la population des quatre coins de Paris. Elles n’avançaient que très lentement, serrées à perdre haleine, tenues debout par des épaules et des ventres, dont elles sentaient la molle chaleur ; et leur désir satisfait jouissait de cette approche pénible, qui fouettait davantage leur curiosité.

De ce point de vue, le grand magasin à une fonction à la fois libérante et aliénante pour les femmes. Libérante, car ces magasins sont les premiers lieux publics où les femmes pourront sortir et ne plus être confinées à la maison (D’ailleurs, les grands magasins seront les premiers lieux publics à disposer de toilettes pour femmes!). Aliénante, car on utilise leur socialisation qui les poussent à se soucier principalement de leur apparence et donc d’investir sans compter dans ce domaine.

Ce roman d’Emile Zola est sans cesse dans le paradoxe, également dans l’histoire d’amour de Denise et Octave, le patron du Bonheur des Dames. Cette histoire d’amour est très classique et sentimentale (même si, d’un point de vue moderne, Mouret est plus proche du sociopathe, que du prince charmant…): une chaste jeune fille qui est amoureuse, mais qui refuse de se compromettre devant les avances répétées de son patron. Cependant, la jeune Denise est également un personnage bienfaisant qui utilise son influence sur Mouret pour améliorer les conditions de travail pénible de ses camarades. Dans le roman, Denise nie sans cesse avoir du pouvoir sur Mouret, mais certains éléments du roman montrent que Denise semble utiliser volontairement son influence. Volonté de Zola de conserver un personnage féminin classique (doux, innocent, bienfaisant malgré elle) ou souhait de laisser le lecteur attentif découvrir la complexité de Denise? Difficile de le savoir.

Si vous êtes intéressé-e-s par ce thème, je vous conseille le documentaire «Au bonheur des dames, l’invention du Grand Magasin» de Sally Aitken et Christine Le Goff. Dans une veine plus fictionnelle, «The Paradise», une série britannique, s’inspire du roman de Zola, tout en le transposant au Royaume-Uni (pas encore visionnée).

En résumé, c’est un chef d’oeuvre, ai-je vraiment besoin d’en dire plus?

Le roman est disponible dans toutes les éditions possibles et imaginables, également gratuitement et légalement en format e-book.

20 réflexions sur “Au bonheur des dames / Emile Zola

  1. J’ai vu le reportage que tu cites et j’avais été fascinée. J’avais du coup songé à lire « Au bonheur des dames » mais j’avais peur d’être noyée sous les nombreuses et longues descriptions de Zola. Mais je finirais bien par en parcourir ses pages un de ces jours.
    En attendant j’ai retrouvé avec bonheur l’ambiance et et les rouages de ces premiers grands magasins et de leur clientèle essentiellement féminine dans la série « Mister Selfridge », qui a elle aussi le mérite de montrer l’envers du décor ( au moins du côté des employés ).

    1. J’ai vu quelques extraits de la série Mr Selfridge, mais je n’ai jamais poussé plus loin. J’ai commencé à regarder The Paradise, mais c’est un peu trop mélo…

  2. Je l’ai lu il y a très longtemps, j’en garde un très bon souvenir. Ton article fait resurgir des choses oubliées et je me dis que je ferai bien de le relire.

    1. Je ne suis pas du genre à relire des livres, mais c’est vrai qu’il est tellement bien écrit que je comprends qu’on puisse avoir envie de le relire…

  3. C’est mon Zola préféré (et, ayant eu une passion fulgurante pour ses romans vers 14 ans, j’ai tout lu de lui). La description du début de la société de consommation en particulier est fascinante.

    1. Moi j’ai découvert Zola à 16 ans avec Germinal. Mais je suis loin d’avoir tout lu, mais j’ai l’intégrale des Rougon-Macquart sur ma liseuse…

  4. C’est marrant car la semaine dernière je me suis dit que j’avais bien envie de le relire, il m’avait laissé un très bon souvenir.

  5. Comme Gourmette, j’ai lu tous les Zola, sans dire que celui-ci est mon préféré, c’est le premier et c’est donc lui qui m’a fait connaître l’auteur, la passion des descriptions, la joie de prendre son temps.

  6. Hello, j’ai beaucoup aimé ce roman ! Je l’ai trouvé tellement bien écrit et les passages de description sont magnifiques 🙂 En plus ce roman fait réfléchir sur des thèmes toujours d’actualité, c’est du grand Zola je trouve 🙂

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