Certaines n’avaient jamais vu la mer / Julie Otsuka

Dévoré en 2 heures, ce roman intense et à l’écriture inédite nous parle d’une parcelle méconnue pour nous Européens de l’histoire des États-Unis.

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2Elles sont un groupe de femmes japonaises, jeunes et moins jeunes, embarquées pour un long voyage vers les États-Unis où elles vont rencontrer leur futurs maris qu’elles n’ont jamais vu, si ce n’est en photo. Leur arrivée est une terrible déception. Les photos des époux étaient mensongères. Ils ne sont pas commerçants de soie, mais plutôt ouvriers agricoles. Certains sont doux, certains sont des brutes. Certaines finiront par être heureuses, d’autres ne le seront jamais dans ce pays qui a besoin de leur bras, mais qui se méfie d’eux.

1Ce roman de Julie Otsuka, américaine d’origine japonaise, ne peut que faire forte impression, que l’on ait aimé sa lecture ou non.

Premièrement, pour les faits historiques dont il est inspiré et dont je n’ai absolument jamais entendu parler: l’immigration japonaise aux USA avant et pendant la Deuxième guerre mondiale. Effectivement, un grand nombre de Japonais est venu chercher fortune aux États-Unis à partir de la fin du 19ème siècle. Leurs entreprises parfois fructueuses ou leur qualité en tant qu’ouvrier agricole, ne manquèrent pas de déclencher un mouvement anti-japonais dans la société, qui s’amplifia lors de l’engagement du Japon au côté de l’Allemagne et évidemment lors de l’attaque de Pearl Harbor. Le gouvernement alla jusqu’à enfermer les ressortissants japonais dans des camps pour pouvoir les avoir à l’œil de manière préventive. Il faut préciser que 62% des internés avait la nationalité américaine, car nés aux USA. Le point le plus marquant de l’affaire restant le calme et la non-résistance des Japonais face aux abus américains. Ceci étant probablement lié au 仕方がない (shikata ga nai), un élément de la culture japonaise qui pousserait au fatalisme et à l’immobilisme (j’utilise le conditionnel, car l’explication d’un phénomène est rarement lié à un seul élément).

Ensuite, ce roman est très marquant par son écriture. Il est presque exclusivement rédigé à la première personne du pluriel, ce qui est déroutant au premier abord. Mais, on en comprend rapidement la force. En utilisant le «nous» la plupart du temps avec quelques «je» parfois, l’auteure arrive à représenter l’expérience à la fois collective et individuelle de ces femmes. Elles sont parties ensemble vers le même destin, elles auront des vies très différentes, mais, au final, toutes se retrouveront dans les mêmes camps d’internement. Alors, même si cela demande un effort d’adaptation, l’écriture de ce roman est vraiment parfaite: originale, empreinte de mélancolie et en totale adéquation avec le récit. La longueur très brève du livre est également très pertinente, car le style pourrait être un peu contraignant à lire sur plusieurs centaines de pages.

En résumé, c’est un roman intelligent, efficace et touchant. En plus, il est court, donc vous n’avez pas de raisons de ne pas l’essayer.

Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer (titre original: The Buddha in the Attic), Éditions 10/18, 143 pages.

5 réflexions sur “Certaines n’avaient jamais vu la mer / Julie Otsuka

  1. Héhéhé, les choses se sont bien goupillées puisque ma dulcinée, Amy, s’est retrouvée avec le fameux bouquin à Noël ! Vu ce que tu en dis, suis pas mécontent de mon coup. Le lirai sans doute aussi après.

  2. J’ai repéré ce roman il y a peu en librairie car la photo de la couverture m’a beaucoup plu ! Et cette histoire de femmes japonaises immigrées aux USA est intrigante.
    Ta critique m’a donné envie de l’acheter ! Merci !

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