Khomeiny, Sade et moi / Abnousse Shalmani

Critique de «Khomeiny, Sade et moi», une réflexion provocante sur les personnes et les normes sociales qui tentent d’enfermer et de cacher les femmes.

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Née dans une famille iranienne athée, la jeune Abnousse s’accommode plutôt mal de la vie dans cet Iran d’après la révolution. La fillette ne supporte pas d’être voilée et engoncée de gris, raison pour laquelle elle se déshabille et court cul nu dans la cour de son école, poursuivie par ses enseignantes. Franche, vive, provocante, intelligente, la fillette a toutes les qualités qu’il ne faut pas avoir quand on vit en Iran. Ainsi, la famille Shalmani s’exile à Paris. De son enfance à l’âge adulte, entre petites anecdotes et événements historiques, Abnousse raconte avec un ton mordant sa tentative perpétuelle d’échapper aux «barbus».

1En sortant de la lecture de «Khomeiny, Sade et moi», un grand «Waouh» est sorti de ma bouche. J’aurais pu souligner des phrases à chaque chapitre de ce livre tellement j’ai été séduite par ce pamphlet féministe et mordant (même si j’émets un certain bémol à la fin de ma critique).

«Khomeiny, Sade et moi» mélange autobiographie, anecdotes historiques et féminisme avec un soupçon de philosophie politique. Le tout étant écrit avec un ton drôle et vivace, ce qui en fait un livre extrêmement simple à lire, tout en étant intellectuellement stimulant.

Dans son roman, Abnousse Shalmani raconte comment elle a tenté toute sa courte vie (elle a une trentaine d’années) d’échapper à l’influence des «corbeaux» (ses enseignantes iraniennes) et des «barbus» (les islamistes). On pourrait croire qu’une fois hors d’Iran, elle ne rencontrerait plus ces sombres figures. Que nenni. L’auteure raconte effectivement son traumatisme d’enfant quand elle voit dans le métro parisien une femme voilée. On lui avait promis qu’ici il n’y aurait pas de «barbus», lui aurait-on menti ?

Abnousse Shalmani va rapidement se rendre compte que les «corbeaux» et les «barbus» ont leur déclinaison européenne, qu’ils soient musulmans ou non. Elle retrouvera les «corbeaux» dans les femmes qui ne cessent de juger leurs consœurs ou dans les musulmanes françaises et voilées qui la regardent de travers. Elle retrouvera également des «barbus» bien français de souche chez des militants communistes qui lui reprochent d’être trop féminine pour être crédible. Le corps des femmes dans l’espace public devient alors une sorte d’obsession pour la jeune femme, qui décortique le regard de la société (française et iranienne) sur celui-ci.

Autant vous prévenir, «Khomeiny, Sade et moi» n’est pas un roman politiquement correct (en même temps, avec le titre, on était prévenu, non ?). Son auteure est farouchement anti-voile et défenderesse de la laïcité. A tous ceux qui la disent simplement traumatisée par l’Iran, Abnousse Shalmani répond que le voile, mis volontairement ou pas, est une façon d’enlever aux femmes leur puissance (si ce corps est anodin, pourquoi le cache-t-on ?) et de les confiner à la sphère privée.

L’auteure s’élève également contre le religieux, qui n’a plus rien à voir avec la foi profonde, mais qui devient une identité et empêche toute compréhension avec l’autre. Il n’y a plus que la religion qui divise le monde en deux choses: ce  qui est conforme et ce qui ne l’est pas; les femmes qui sont respectables et les putes. Mais il ne faut pas croire que l’auteure est une femme de droite qui se défoule sur les immigrés qui se sont moins bien intégrés qu’elle. Elle est également horrifiée par la montée du Front national en France.

«Marine et les barbus progressent grâce à l’abstention. Les uns comme les autres surfent sur la capitulation des uns et des autres. Si les citoyens prenaient leur rôle plus à cœur, si les Français musulmans se voyaient davantage comme les citoyens qu’ils sont, il n’y aurait plus de danger frontiste ou de communautarisme agressif. Il n’existerait plus que des citoyens français.»

Malgré le grand plaisir que j’ai eu en lisant ce livre, je trouve qu’il souffre d’un manque dans sa réflexion. Abnousse Shalmani, quand elle critique vertement les enfants d’immigrés qui cèdent au communautarisme, ne tient pas compte des problèmes de classes sociales et d’accès à la culture. La famille Shalmani a quasiment tout perdu en arrivant en France, mais celle-ci était, en Iran, une famille bourgeoise et très cultivée. Quand on a ce genre d’atout, il est plus simple de s’intégrer, de comprendre la culture de l’autre, d’avoir une attitude distante avec le racisme de certains et de ne pas se replier sur sa communauté. A défaut, on peut se sentir rapidement déboussolé et tomber dans le rejet, dans le communautarisme. Malgré ces imperfections, «Khomeiny, Sade et moi» reste une bonne matière à réflexion.

En résumé, un pamphlet vif, féministe et plaisant à lire qui rappelle que personne n’est à l’abri de se transformer en taliban, ici ou ailleurs.

Abnousse Shalmani, Khomeiny, Sade et moi, Paris: éditions Grasset, 2014, 336 pages.

Merci à la maison Grasset pour l’envoi sur demande du livre en service presse. 

6 réflexions sur “Khomeiny, Sade et moi / Abnousse Shalmani

  1. J’ai bien aimé ce livre portant réflexion sur la liberté dans tous les sens du terme, en France, en Iran et d’autres pays, de la femme et de ce fait les hommes.
    Je comprends que la littérature libertine soit évoquée ainsi que SADE, par opposition à la culture religieuse des « corbeaux » et des « barbus » intolérable, mais les placer au-dessus de tout, me paraît démesuré et peu recommandable.

    1. Alors on peut apprécier ou pas son amour de la littérature libertine (que je connais assez peu, à part Sade), mais je pense que c’est surtout lié à son expérience personnelle et à l’éveil que celle-ci a suscité chez elle.

    2. Je suis bouleversée par le livre d’Abnousse Shalmani, cette femme est admirable et je la suis à tout point de vu. Merci

  2. C’est typiquement le genre de discours maternaliste qui me donne envie de gerber… ses propos sont les mêmes que celles des féministes blanches embourgeoisées qui croient qu’elles ont pour mission de sauver de pauvres femmes voilées soumises…. bref, une déshumanisation complète des musulmanes, en particulier voilées, complètement anodine aujourd’hui(peut etre se prend elle pour une pseudo révolutionnaire provoc bobo à 2 balles…) . Je ne porte pas le voile mais je suis musulmane et profondément féministe. Je suis parfaitement libre. Quoiqu’on puisse dire, sa vision des choses est tronquée, partielle et partiale.

    1. L’expérience de l’auteure est fortement imprégnée de son expérience iranienne difficile. Les propos de l’auteure sont donc ceux d’une révoltée. Ce qui en fait un bon pamphlet, mais pas forcément une bonne analyse. Comme je le dis plus haut, elle n’a pas le background sociologique qui lui permettrait de prendre compte de tous les paramètres. Par contre, ce qui me perturbe dans votre commentaire, c’est qu’apparemment vous avez lu les propos d’Abnousse Shalmani comme s’adressant uniquement aux femmes musulmanes. L’auteure se donne effectivement une mission, c’est d’avertir les femmes sur des formes de soumission et de surveillance qu’elle ne perçoivent pas. L’auteure tente de montrer tout au long de son livre que les femmes sont sans cesse surveillées que ce soit dans des pays marqués par le fondamentalisme ou chez nous, qu’elle soit musulmane ou pas. Donc, je ne pense pas que l’auteur vise les femmes musulmanes, elle parle simplement aux femmes.

    2. @Sheena…vous n’êtes certainement pas féministe, et il est même probable que vous soyez raciste : vos propos sont très proches de celui des fascistes du PIR (parti des Indigènes de la République).

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