L’événement / Annie Ernaux

A l’occasion d’un dépistage dans une clinique, Annie Ernaux se replonge dans un moment marquant de sa vie. En 1963, avant la légalisation de la pilule contraceptive et avant la Loi Veil, l’autrice, encore étudiante, se retrouve enceinte. Elle va alors devoir passer par un parcours du combattant afin de pouvoir avorter. Malgré une vie sociale remplie et un entourage présent, la jeune femme va également constater qu’elle sera bien seule dans cette expérience, la société préférant simplement juger ou détourner le regard.

Avant de débuter ma critique, je vais adresser une pensée reconnaissante à mon professeur de français de lycée qui avait eu la bonne idée de mettre Annie Ernaux dans notre programme de lecture. Je pense que cette découverte n’a pas été sans influence sur la suite de mon parcours qui s’est tourné vers la sociologie et vers l’étude des dominations. Parenthèse refermée!

Comme à son habitude, Annie Ernaux propose un livre sobre, mais criant de justesse. Elle montre comment une jeune femme, un peu trop moderne pour la France des années 1960, va subir le mépris ou, au mieux, le dédain des médecins et de son entourage. De plus, Annie Ernaux relève également comment cette grossesse non-désirée le replace violemment dans sa classe sociale, celle d’une fille de commerçant de la campagne, une classe où les jeunes filles ne peuvent résister à l’appel de la chair et finissent mères très jeunes.

Une lecture à mettre définitivement entre toutes les mains quand on voit les remises en question de l’avortement qui surgissent un peu partout aujourd’hui. Peut-être ont-ils/elles oublié les faiseuses d’ange, les septicémies, l’angoisse, le désespoir de n’être qu’un réceptacle, de voir s’enlever le choix de vivre sa vie comme on le souhaite…Mais surtout Annie Ernaux raconte son expérience, par extension, celle de nombreuses jeunes filles des années 1960 qu’on a longtemps laissées seules régler leur problème, quitte à être condamnées pénalement ou à en mourir.

Il se peut qu’un tel récit provoque de l’irritation, ou de la répulsion, soit taxé de mauvais goût. D’avoir vécu une chose, quelle qu’elle soit, donne le droit imprescriptible de l’écrire. Il n’y a pas de vérité inférieure. Et si je ne vais pas au bout de la relation de cette expérience, je contribue à obscurcir la réalité des femmes et je me range du côté de la domination masculine du monde.

En résumé, un livre primordial écrit par une écrivaine de premier rang, enfin récompensée à la hauteur de son importance grâce à un prix Nobel de littérature.

Annie Ernaux, « L’événement », chez Folio et Gallimard, 2000.

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