Trafiquante / Eva Maria Staal

Chronique d’un roman choc qui nous emmène dans le monde du trafic international d’arme. Un roman-réalité dérangeant et inquiétant.

trafiquante

2Si aujourd’hui Eva Maria amène tranquillement sa fille à l’école, il y a quelques années, elle voyageait plutôt aux quatre coins du globe et toujours avec une arme dans son sac. Elle a 25 ans quand elle rencontre Jimmy Liu, un marchand d’armes canadien d’origine chinoise qui l’engage comme gestionnaire dans son entreprise. Elle pense d’abord travailler pour le marché légal de la vente d’armes, mais elle se rend rapidement compte que la limite entre vente légale et trafic illégal est floue. Avec Jimmy, Eva Maria va vivre des années incroyables où elle devra s’asseoir sur sa morale et faire preuve de sang-froid face aux trafiquants, à l’horreur des zones de guerre et surtout face à son patron.

1Une femme qui travaille dans le trafic international d’arme, une vraie lady of war, à l’instar de Youri Orlov, qui vend chars d’assaut et mitraillettes chinoises à d’«honnêtes» états comme à des groupuscules terroristes. Voilà le portrait de l’antihéroïne de «Trafiquante». Un roman-réalité, à la frontière de l’autobiographie, du documentaire et du polar, écrit sous pseudonyme par une vraie trafiquante néerlandaise aujourd’hui retraitée du trafic d’armes et mère de famille.

«Trafiquante» est un livre dont on ressort avec le souffle coupé tant il raconte une réalité absolument terrifiante; celle du trafic d’armes et des hommes (et des très rares femmes) qui gravitent dans cet univers extrême où l’on passe des salons feutrés avec caviar et champagne aux zones de guerre boueuses en un clin d’oeil.

Mais, ce n’est pas seulement cette entrée dans un univers fermé qui rend «Trafiquante» si intéressant. C’est principalement l’histoire d’une femme dans un univers d’homme et surtout l’histoire d’une femme qui devient consciemment une marchande de mort.

Eva Maria raconte avec un calme déconcertant comment elle a navigué tant bien que mal dans cette vie agitée avec la conscience que, malgré son côté dangereux, stressant, violent et immoral, elle aimait cette vie shootée à l’adrénaline qui l’a transformée en superwoman; une femme spécialiste de tous les types d’armes (elle achète un aspirateur comme elle achèterait un lance-roquette) ou encore capable de voir en quelques secondes si son interlocuteur ment.

Plus fascinant encore, sa relation très particulière avec son fantasque patron, amateur de gigolo et incorrigible joueur, dont elle devra gérer les sauts d’humeurs, les dépenses hallucinantes et l’amant vénal. Une relation assez indéfinissable, bien plus qu’une relation d’employée à employeur, à la fois aimante et haineuse, parfois presque filiale. Une relation qui en fera voir de toutes les couleurs à la jeune femme qui se sacrifiera souvent pour sauver la mise à son patron. Celui-ci la remerciera en la poussant vers la sortie. Un acte qui paraîtra d’abord ingrat à notre trafiquante, mais qui est, en fait, un cadeau de la part de Jimmy. Cette porte de sortie la mènera à sa vie actuelle de mère de famille plutôt rangée, mais pour qui la spontanéité n’est plus vraiment au programme après tant d’années de calculs et de murailles construites pour se protéger des considérations morales et des images terrifiantes (La description de Grozny après la guerre est absolument sidérante).

Ce qui est admirable (ou dérangeant, c’est selon) dans «Trafiquante», c’est qu’à aucun moment Eva Maria ne s’excuse de ce qu’elle a fait. Cela pourra paraître atrocement amoral, mais on trouve chez elle même une petite nostalgie de sa vie d’avant. Scandaleux, dira-t’on! Mais peut-on si facilement se désintoxiquer de sa dose quotidienne d’adrénaline après tant d’années?

En résumé, un roman sidérant sur le trafic international d’armes. Immoral? Peut-être. Mais il a l’avantage de mettre le doigt sur une réalité que l’on voudrait ignorer. A lire pour ne plus se voiler la face sur le marché international des armes et pour découvrir un destin de femme hors du commun.

Eva Maria Staal, Trafiquante (titre original: Probeer het mortuarium), Paris: Éditions du Masque, 2014, 287 pages.

Merci aux Éditions du Masque pour l’envoi sur demande du livre en service presse.

7 réflexions sur “Trafiquante / Eva Maria Staal

  1. Ce n’est probablement pas le genre de livre sur lequel je me serais arrêté de moi-même ni le genre de sujet qui m’attirerait au premier abord, mais tu en parles si bien que je me dis, pourquoi pas 🙂

    1. Je n’apprécie pas du tout les armes non plus, mais le bouquin à au moins l’avantage de montrer à quel point les fabricants d’armes sont hypocrites, puisque même s’ils disent travailler dans un marché légal, leur armes finiront probablement entre les mains de trafiquants…

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