Trois soeurs / Laura Poggioli

En juillet 2018, un fait divers bouleverse et divise la Russie. Trois soeurs ont tué leur père dans son sommeil. On comprend rapidement qu’Angelina, Maria et Krestina ont été victimes depuis leur enfance de violences physiques, psychologiques et sexuelles perpétrées par leur père et qu’elles avaient décidé d’y mettre fin. Elles deviennent alors le symbole de la violence faite aux femmes en Russie.

L’autrice Laura Poggioli, qui a appris le russe et vécu une partie de sa jeunesse en Russie, s’empare de ce fait divers et le mêle à ses souvenirs d’étudiante dans la ville de Moscou, de rencontres faites là-bas, mais aussi de sa vie d’adolescente et de femme en France.

« S’il te bat, c’est qu’il t’aime », dit un proverbe russe. Ce roman de Laura Poggioli était périlleux. Il aurait pu tomber dans un sentiment anti-russe primaire, dans le « eux vs nous ». Mais, comme Laura Poggioli est une connaisseuse de la Russie, qu’elle y a vécu, qu’elle l’aime et qu’elle en parle la langue, le roman évite heureusement cet écueil.

« Trois soeurs » entre dans la catégorie du roman non-fictionnel puisqu’il part d’éléments du réel -un fait divers, des contacts avec l’entourage des trois soeurs, des revues de presse, etc.-, mais utilise le biais de la fiction pour essayer de nous mettre dans la peau des trois jeunes femmes.

L’histoire des soeurs Katchatourian est le révélateur d’un contexte mortifère pour les femmes russes. Effectivement, il n’existe pas de statistiques officielles des violences faites aux femmes en Russie, mais chaque année apporte son lot d’histoires sordides de violences, de mutilations et d’assassinats de femmes par leurs maris et compagnons. La situation est d’autant plus grave que la Russie a dépénalisé les violences dans le cadre familial, à part pour les cas les plus graves. C’est dans cet environnement que vivent les trois jeunes filles et leur mère, avec un mari violent et pervers, auteur de petits trafics qui se rachète une sainteté en allant à l’église assidûment.

Mais pour sortir de ce portrait peu élogieux de la Russie, Laura Poggioli raconte aussi le pays tel qu’elle l’a vécu quand elle était étudiante: les belles amitiés, le sentiment de sécurité, la solidarité entre étudiants. Parfois avec naïveté et fascination, puisqu’elle tombe amoureuse de la Russie et d’un de ses habitants qui se révélera aussi être le seul homme qui lèvera la main sur elle. Mais loin de condamner sans nuances, Laura Poggioli rappelle que, si la société russe est gangrénée par la violence faite aux femmes (probablement pour des raisons diverses: années de dictature communistes, déséquilibre démographique entre homme et femmes, rejet de l’Occident), sa vie en France n’a pas été exempt de violences, d’emprise et d’agressions, même si elles se présentent sous une autre forme.

Je préfère également vous prévenir que le roman est assez difficile à encaisser, car les scènes de violences sont décrites de manière très frontale.

En résumé, un roman glaçant et révoltant, mêlé à une mise en perspective autobiographique intéressante.

Laura Poggioli, « Trois soeurs », chez les éditions L’Iconoclaste, 2022.

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