

Début des années 1980, dans un quartier populaire de Londres. Deux fillettes métisses se rencontrent à un cours de danse. L’une, la narratrice, vit avec un père très discret, mais affectueux, et une mère qui essaye de compenser toutes les opportunités qui lui ont été refusées en tant que fillette noire en étudiant sans relâche. L’autre, Tracey, vit avec sa mère blanche, issue de la classe populaire et peu éduquée, et un père noir qui fait des allers-retours en prison. Les jeunes filles vont grandir côte-à-côte avec une soif de danse et de célébrité, puis s’éloigner sur des chemins divergents.

Dire que ce roman est riche est un euphémisme. Zadie Smith a fait de son roman une grande réflexion sur l’identité, qu’elle aborde sous plusieurs angles et dont elle rappelle la complexité. Les deux protagonistes principales, la narratrice et Tracey, pourrait être estimée comme très proches identitairement. Elles sont métisses, vivent dans le même quartier populaire, ont la même passion de la danse. Mais déjà là, ces deux fillettes sont très différentes. Tracey, élevée par une mère ignorante et fascinée par la célébrité, va être poussée vers la danse, sans filet de sécurité pour son avenir. Tandis que la narratrice, malgré une situation socio-économique apparemment équivalente, va être encouragée à faire des études par une mère jamaïquaine, intellectuelle et très engagée.
Au travers du destin contraire de ces deux enfants, devenues jeunes femmes, l’autrice pointe également la difficulté du processus d’individualisation lors du passage à l’âge adulte. Comment devenir une personne à part entière quand on vit dans l’ombre d’une personnalité imposante? Comment certains enfants arrivent à échapper à un destin tout tracé et d’autres pas?
Évidemment, l’autrice aborde le thème de l’identité raciale et des discriminations, puisque le roman trouve son contexte dans un quartier de Londres multiculturel. Mais, elle arrive également à enrichir et complexifier son propos. A travers la passion de la narratrice pour les comédies musicales de l’âge d’or d’Hollywood qui lui permet d’aborder le destin des artistes afro-américains, mais aussi à travers l’expérience de la narratrice devenue adulte. Celle-ci devient, un peu par hasard, assistante d’une star de la pop, Aimee, qui peut évoquer une sorte de Madonna australienne, et se retrouve alors dans un univers complètement déconnecté de la réalité. Elle doit, en plus, faire face aux délires égocentriques d’Aimee qui veut faire de l’humanitaire et « sauver l’Afrique ». Durant un voyage en Gambie, la narratrice se rend compte que son identité métisse n’est pas forcément perceptible et que, pour eux, elle est une Blanche. Elle découvre aussi la face sombre de l’humanitaire qui parfois mêle projets mal préparés et racisme condescendant, un racisme dont la narratrice va elle-même faire preuve, à son grand désarroi. Ainsi, Zadie Smith rappelle que l’identité n’est pas figée et que, même une couleur de peau, n’est pas interprétable hors contexte.
Au-delà du fond, Zadie Smith livre également un roman à la construction admirable qui alterne constamment entre les lieux et les temporalités. C’est un roman qui digresse en permanence, mais de manière pertinente. Cependant, le roman s’est terminé, pour moi, sur un sentiment de frustration. Le personnage de Tracey qui a monopolisé le début du roman n’est plus qu’une ombre sur la fin du récit. C’est peut-être une volonté de l’autrice de donner plus de place à la narratrice, sage et si discrète qu’elle n’a pas de nom, face à la fougueuse Tracey. Hors, j’avais presque l’impression qu’il manquait un bout du roman, alors qu’il est déjà passablement long. Donc, n’espérez pas que l’autrice répondent à toutes vos questions!
En résumé, un roman extrêmement riche sur l’identité et le destin, sur l’individu face aux forces sociales.
Zadie Smith, « Swing time », chez Gallimard et Folio, 2016.